Restitution de deux biens spoliés aux ayants droit de Grégoire Schusterman

tableau, Alfred Sisley, Vue d'un port, 1870
Alfred Sisley
Vue d'un port, 1870
Château-musée de Dieppe, Dieppe
Œuvre retrouvée en Allemagne après la seconde guerre mondiale et confiée à la garde des musées nationaux en 1950
© Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt
Chapeau

La ministre de la Culture Rachida Dati a annoncé le 16 mai 2024 la restitution de deux œuvres aux ayants droit de Grégoire Schusterman. Les péniches d’Alfred Sisley et Cariatides d’Auguste Renoir ont été reconnues comme ayant été spoliées et vendues sous la contrainte de l’occupation nazie. Sélectionnées en 1950 parmi les 15 000 dernières œuvres revenues d'Allemagne et non restituées, ces deux tableaux deviennent MNR (Musées Nationaux Récupération) et sont confiés au musée du Louvre puis au musée d'Orsay en 1986.

Corps de texte
Titre

Les biens restitués — Le propriétaire spolié

Corps de texte

Grégoire Schusterman est né en 1889 à Vinnytsa, dans l’Empire russe (actuelle Ukraine), dans une famille juive. Arrivé en France en 1903, il se lance dès 1923 dans le commerce de l’art. Pendant un certain temps, Grégoire Schusterman est le représentant de l’Association française d’expansion et d’échanges artistiques, pour laquelle il organise des expositions d’art à l’étranger. En 1933, il ouvre sa propre galerie au 20, avenue Kléber, dans le 16e arrondissement de Paris. Avant même d’ouvrir sa galerie consacrée à l’art contemporain, il était apparu dès la fin des années 1920 comme acheteur lors de ventes aux enchères de l’Hôtel Drouot à Paris. La plupart des œuvres qu’il acquiert à l’Hôtel des ventes sont celles d’artistes du XIXe et du début du XXe siècle, notamment Charles François Daubigny, Édouard Vuillard, Jean Baptiste Camille Corot, Camille Pissarro et Pablo Picasso. Après l’entrée des troupes allemandes à Paris en juin 1940, le « Militärbefehlshaber in Frankreich » – commandant militaire en France – s’installe à l’hôtel Majestic, en face de la galerie de Grégoire Schusterman. Afin de faciliter sa fuite vers la zone non occupée au printemps 1941, Grégoire Schusterman vend son stock d’œuvres d’art. Lorsqu’après la guerre, il cherche à récupérer son bail, il doit pour ce faire engager une procédure judiciaire. Le tribunal civil de la Seine lui donne alors raison et précise « qu’au moment de l’occupation allemande, [il] s’est trouvé exposé aux mesures spoliatrices de l’ennemi et du Gouvernement de Vichy alors surtout que sa galerie était placée en face de l’hôtel Majestic, siège de l’État Major allemand et que le commerce d’objets d’art était spécialement visé par les agents nazis ».

Les deux tableaux ont fait l’objet d’une demande de restitution par les ayants droit de Grégoire Schusterman en 2022, aidés par une chercheuse de provenance indépendante. Suite aux recherches effectuées par le ministère de la Culture (Mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945), la Commission pour l’indemnisation des victimes de spoliations (CIVS) a considéré le 17 novembre 2023 que Grégoire Schusterman avait dû vendre les deux tableaux en raison des persécutions antisémites, pour fuir Paris et subsister pendant la guerre ; il s’agissait donc de ventes forcées. La Commission a, par conséquent, recommandé la restitution des deux œuvres à ses ayants droit. Suivant l’avis de la Commission, le Premier ministre a décidé, le 11 avril 2024, la restitution des deux œuvres à la famille du marchand.

Titre

La provenance, le parcours des œuvres

Corps de texte
Auguste Renoir
Cariatides, 1909
Maison de Renoir, domaine des Collettes, Cagnes-sur-Mer
Œuvre retrouvée en Allemagne après la seconde guerre mondiale et confiée à la garde des musées nationaux en 1950
© Musée d’Orsay, dist. GrandPalaisRmn / Sophie Crépy

Renoir, Cariatides (MNR 198)

Grégoire Schusterman fait l’acquisition des Cariatides de Renoir, panneau décoratif, en février 1939 à la Galerie Charpentier lors de la vente des œuvres du collectionneur Henri Canonne, un pharmacien passionné par l’impressionnisme. Le parcours précis de l’œuvre n’est pas connu. Elle réapparaît sur le marché de l’art fin mars 1941. Sans que l’on sache exactement comment Grégoire Schusterman l’a vendu, le tableau semble être devenu la propriété d’Alfred Pacquement, administrateur du comptoir Lyon-Alemand. Collectionneur spécialisé dans l’art du XIXe siècle, Alfred Pacquement vend l’œuvre par l’intermédiaire de Pierre Landry, courtier en tableaux depuis les années 1920 et très actif pendant l’Occupation. Cariatides est acheté par Maria Gillhausen, une galeriste allemande de Munich qui travaille étroitement avec Adolf Wüster, courtier lui aussi très actif pour les musées et les marchands d’art allemands pendant l’Occupation, et proche de l’ambassade d’Allemagne à Paris. Wüster semble d’ailleurs avoir donné l’ordre de cette vente.

tableau, Alfred Sisley, Vue d'un port, 1870
Alfred Sisley
Vue d'un port, 1870
Château-musée de Dieppe, Dieppe
Œuvre retrouvée en Allemagne après la seconde guerre mondiale et confiée à la garde des musées nationaux en 1950
© Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt

Sisley, Les péniches (MNR 206)

Contrairement aux Cariatides que Grégoire Schusterman achète aux enchères en 1939, on ne sait pas depuis quand le galeriste possède Les Péniches de Sisley, qui, dans les années 1920, avaient appartenu à Charles Pearson, collectionneur anglais installé à Paris. Après la Seconde Guerre mondiale, Grégoire Schusterman explique dans une lettre au président de la Commission de la récupération artistique (CRA), qu’il a dû vendre l'œuvre début mars 1941 au marchand d’art Raphaël Gérard. Demeurant dans la même rue  que Grégoire Schusterman, Raphaël Gérard est un galeriste parisien qui, pendant l’Occupation, a vendu de nombreuses œuvres à des acheteurs allemands. L’acheteuse est, comme pour les Cariatides de Renoir, la galeriste munichoise Maria Gillhausen ; Adolf Wüster et le marchand d’art Charles Vaumousse figurent comme intermédiaires dans les archives de Raphaël Gérard. Après la guerre, les Cariatides de Renoir sont récupérées par les alliés au château de Thalhausen près de Freising en Bavière où Maria Gillhausen a mis le tableau à l’abri. Les Péniches de Sisley sont retrouvées en Rhénanie chez une parente de la marchande. Les œuvres sont transportées au Central Collecting Point (point de rassemblement des œuvres) de Munich pour le Renoir et à celui de Baden-Baden pour le Sisley, puis rapatriées en France.

Titre

Affirmation d’une politique publique de réparation – Un nouvel élan

Corps de texte

Récemment, l’ancien Premier ministre Edouard Philippe a souhaité donner un nouvel élan à la politique de recherche et de restitution des biens culturels spoliés. Prolongeant l’action menée au cours des années précédentes, la nouvelle organisation a eu pour but d‘apporter plus de visibilité à la politique de recherche et de restitution concernant les collections publiques, donnant une large place à la CIVS pour les spoliations intervenues en France pendant l’Occupation. Au-delà de l’historique des œuvres MNR, dont la compréhension reste une priorité, c’est le parcours entre 1933 et 1945 des œuvres entrées dans les collections publiques depuis 1933 et jusqu’à aujourd’hui qui doit être étudié. Plusieurs musées nationaux et territoriaux ont débuté de tels travaux, le cas échéant avec l’appui de la Mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945 du ministère de la Culture. Le musée du Louvre et le musée d’Orsay ont chacun créé un poste de chargé de mission pour la recherche de provenance.

 La liste de MNR du musée d’Orsay comprend 145 peintures, 26 sculptures et 6 pastels. Toutes les informations concernant ces œuvres sont consultables sur les deux bases de données du ministère de la Culture :

  • la base Rose-Valland, strictement consacrée aux MNR, qui fournit des indications relatives à l’historique et à la provenance des œuvres 
  • la base Orsay, régulièrement mise à jour, pour ce qui concerne la bibliographie et les expositions de ces œuvres.

 

Télécharger le communiqué de presse
pdf, 11.1 MB